Chroniques du cabinet : déloyauté de l'enquêteur en garde à vue
Récit d'audience :
Le jeune Marcel, mineur, ne se sent pas bien parti au début de sa garde à vue. Non que ce soit sa première, mais cette fois les faits sont graves : destruction volontaire d’un véhicule par incendie, en plein centre-ville.
Mais il nie les faits, et persiste dans ses dénégations. Il sait qu’un de ses amis est également en garde à vue pour les mêmes faits et puisqu’ils sont très potes, il lui fait confiance pour ne pas dire n’importe quoi.
La garde à vue se prolonge, et Marcel s’impatiente. Elle est renouvelée et, peu de temps avant la 48ème heure, les gendarmes le font sortir de sa geôle pour le réentendre. Là, le ciel lui tombe sur la tête parce que l’enquêteur en face de lui met cartes sur table :
- On a retrouvé son ADN sur les lieux
- Un témoin l’a vu commettre les faits
- Et surtout, son pote vient de le dénoncer.
Déçu, paniqué par ces histoires d’ADN et de témoin, mis en colère par sa propre naïveté d’avoir cru que l’amitié triompherait de tout et épuisé, enfin, par la privation de liberté, Marcel sort de ses gonds et avoue tout ce qu’on lui demande d’avouer.
Fin de garde à vue, défèrement, présentation devant le juge des enfants et convocation devant le tribunal pour enfants pour répondre de ses actes. Personne n’a de doute sur sa culpabilité, ni le juge des enfants qui le reçoit et le place sous contrôle judiciaire, moins encore le procureur de la République, puisqu’il a avoué. On le regarde même d’un sale œil parce qu’il a nié jusqu’à être confronté à l’évidence des preuves contre lui, ce qui fait toujours mauvais genre.
C’est là qu’Humanis Avocats entre en jeu.
Nous ne mettons pas très longtemps, maintenant que l’intégralité de la procédure est mise à disposition de la défense, à nous apercevoir qu’il y a quelque chose qui cloche :
- L’ADN retrouvé n’était pas celui de Marcel
- Le témoin l’avait bien vu sur les lieux, mais plusieurs heures avant les faits
- Et son ami l’avait certes dénoncé, mais seulement après que Marcel, enragé par cette information (mensongère) de l’enquêteur, l’avait lui-même invité dans la danse en précisant qu’ils étaient deux à avoir mis le feu !
Les gendarmes lui ont donc menti de bout en bout, dans le seul but de le faire avouer.
Devant le TPE, Maître JERUSALEMY a relevé l’irrégularité de ce procédé sur le fondement de l’article préliminaire du code de procédure pénale mais aussi de l’article 6 de la CEDH.
Une enquête, quelle qu’en soit la forme, doit être menée loyalement à charge et à décharge, réservant au mis en cause la possibilité de disposer de toutes les armes à sa disposition pour se défendre, dont une des plus fondamentales : le droit de ne pas s’auto-incriminer.
En lui mentant délibérément, les gendarmes ont méconnu ces principes essentiels de la procédure pénale et du droit à un procès équitable.
Par conséquent, les juges du tribunal pour enfants ont accueilli la nullité, annulé les actes en litige et, par suite, relaxé notre client.
Elargissons le débat : Marcel bénéficiait bien entendu, en sa qualité de mineur, d’un avocat au cours de la mesure de garde à vue. Mais comment celui-ci pouvait-il intervenir et conseiller utilement son client alors qu’il n’avait aucune idée, au moment où ces questions litigieuses lui étaient posées, qu’elles étaient mensongères ? Plus grave encore : l’avocat pourrait être tenté de conseiller à son client d’avouer les faits, sachant que l’ADN et un témoin visuel, ça fait quand même beaucoup…
Les droits des individus placés en garde à vue ont beaucoup progressé ces dernières années, jusqu’à dernièrement avec la suppression du fameux « délai de carence » prétorien de deux heures. Toutefois, il reste beaucoup à faire pour équilibrer les forces en présence à ce stade des procédures pénales.
Dans le système pénal français, le mis en cause n’a pas comme devoir de contribuer à la manifestation de la vérité, ni même de dire la vérité, tout comme les avocats ne sont pas des collaborateurs des enquêteurs.
Si vraiment nous assumons ce cadre juridique, qui est conforme aux droits élémentaires de tout individu poursuivi ou mis en cause, il faudra bien un jour aller plus loin en ouvrant le droit aux avocats de consulter une partie du dossier et des éléments du dossier au moment du placement en garde à vue de leurs clients. Pas tout le dossier bien sûr ! Mais au moins une sélection d’actes nécessaires à équilibrer la procédure : plainte, auditions des autres mis en cause, synthèses de l’enquête en état…
L’idée n’est pas d’entraver les enquêtes, au contraire : c’est, pour nous, d’être des auxiliaires de justice loyaux et de conseiller utilement nos clients pour, in fine, fluidifier l’ensemble de la chaîne pénale.
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